Les femmes et le vin: une histoire d’amour compliquée…

Elles ne se cachent plus, savent parfaitement différencier un bordeaux d’un côtes-du-rhône, achètent directement au producteur, vont jusqu’à investir les bars à vin les plus tendances et commentent à grand renfort d’adjectifs le breuvage qu’on vient de leur servir.

Oui, le vin se féminise. Ultime pied de nez à l’un des derniers bastions masculins: les Madames Tout-le-monde osent même se réunir dans des clubs exclusivement féminins pour causer œnologie autour de bonnes bouteilles.
Selon une enquête de l’Office national français Onivins, dans 75% des foyers, ce sont les femmes qui se chargent de l’achat du vin en grande surface. Non seulement elles représentent la majorité des acheteurs, mais elles choisissent les bouteilles en fonction de leurs propres critères, non pas selon les exigences de leur conjoint.

La femme est devenue prescriptrice, une véritable acheteuse qui débarque sur le marché avec un regard différent, un autre usage des codes liés au vin, une sensibilité nouvelle au packaging. De là à apprécier en connaisseuse un bon verre, il n’y a qu’un pas.

Se faire confiance
«Autrefois, voir une dame commander une bouteille dans un restaurant appelait aux commentaires, c’est loin d’être le cas maintenant», explique Myriam Broggi-Praz, fondatrice du Club des femmes et du vin, sommelier de son état et auteur de La dégustation démystifiée, paru aux Editions Favre. «Je suis contre les clivages homme/femme. Mais il est vrai que ces dernières ont envie d’apprendre. Elles aiment la culture du vin. Beaucoup de femmes n’osent pas parler d’un vin tout simplement parce que personne ne leur a donné les connaissances suffisantes pour le faire. Elles sont complexées, alors qu’il suffit de faire confiance à son palais.»

Il faut dire que la relation entre les femmes et le vin n’a pas toujours été des plus faciles. Des siècles durant, les femmes ont été tenues éloignées du vin, boisson longtemps associée aux mœurs légères, à la prostitution et soupçonnée de gêner la fonction reproductrice.

Durant l’Antiquité romaine, les femmes qui buvaient du vin risquaient carrément la peine de mort. On raconte que le chef de famille vérifiait en embrassant la bouche des femmes de la maison qu’aucune odeur de vin suspecte n’apparaisse! La Bible marque une interdiction formelle: «L’ange de l’Eternel répondit à Manoah: «La femme s’abstiendra de tout ce que je lui ai dit. Elle ne mangera rien du produit de la vigne et elle ne boira ni vin, ni boisson enivrante, et elle ne mangera rien d’impur. » (Livre des juges, chapitre XIII).

Au XVIIe siècle, le vin fait partie du quotidien. Il n’est pas rare à cette époque que les enfants viennent au monde alcoolisés: on donnait aux femmes quelques verres avant leur accouchement. Le champagne, boisson féminine par excellence, fait son apparition à la Cour un siècle plus tard. Madame de Pompadour disait de lui que c’était «le seul vin qui vous garde belle après boire».

Mais au XIXe siècle, machine arrière. La «bonne éducation» fait son apparition. Une femme «bien» ne boit pas – «femme de vin, femme de rien» disait-on à l’époque.

Révolution féministe
Il faudra attendre le XXe siècle et l’évolution de la qualité des vins pour que les femmes reprennent les choses en main. Boire du vin, fumer une cigarette deviennent des symboles féministes forts.

Paradoxalement, de nouveaux préjugés font leur apparition, comme par exemple le fait que le palais féminin n’apprécie pas les mêmes vins que celui de l’homme. Les «vins de femme» désignent d’ailleurs les vins sucrés. Isabelle Forêt, journaliste du vin et auteur du Guide du vin au féminin, assure que les femmes décèlent mieux le goût de bouchon que les hommes.

Un marché en pleine évolution
Cette «entrée en vin» des femmes oblige les producteurs à s’adapter au marché, faisant d’elles un véritable enjeu marketing. En 2006, le caviste Nicolas – 475 magasins en France et en Europe – a édité un petit fascicule intitulé Pour elles: ces vins qui font craquer les femmes. De nombreuses boutiques en ligne ont choisi d’être «à l’écoute de celles qui aiment le vin». En Suisse comme en France, les exemples de démarches marketing spécifiques sont légion.

Selon une étude universitaire française, les producteurs ont été jusqu’à faire évoluer le goût du vin pour tenir compte de cette nouvelle donne. Plus rond, plus léger, le vin s’est «unisexualisé». Pour être plus largement consommé.

Cécile Denayrouse | 01-05-2008. Sur lesquotidiennes.com, un regard des femmes sur l’actualité.

Ce contenu a été publié dans Zapping, avec comme mot(s)-clé(s) , , , , , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *